Les Britanniques, champions du séquençage du génome humain

Découvertes fortuites, prix Nobel, investissements et participation à des projets de grande envergure ont permis au Royaume-Uni d’avoir une longueur d’avance dans le décryptage des gènes. La pandémie l’a conforté dans sa position de leader.

Trois cent quatre-vingt-quatre génomes baignent dans une fiole pas plus grosse qu’un ongle. Il y a quelques jours, chacun d’entre eux se trouvait encore à l’abri d’une membrane de coronavirus logée dans une cavité nasale, quelque part en Angleterre.

Le contenu de la fiole sera ensuite placé dans une boîte de la taille d’une imprimante, remplie de lasers et de tubes de verre microscopiques. Au cours des vingt-quatre heures suivantes, les composants moléculaires de ces génomes seront séparés puis réassemblés afin de déterminer leur ordre initial. Cet agencement constitue le plan détaillé de la structure du virus – et détermine s’il cohabitera en paix avec l’homme, ou causera des ravages dans la population.

Face à la pandémie, le Royaume-Uni a multiplié les séquençages du virus, à un rythme sans pareil à l’échelle mondiale. Depuis mai 2020, les Britanniques ont assuré plus d’un quart de tous les séquençages du Sars-CoV-2 réalisés dans le monde entier, bien qu’ils n’aient enregistré que 4 % des résultats positifs. Les experts du Wellcome Sanger Institute , installé dans la banlieue de Cambridge, séquencent 64 000 génomes de coronavirus chaque semaine.

Les données qu’ils recueillent sont ensuite analysées par leurs voisins de l’ Institut européen de bio-informatique (EBI), une antenne du Laboratoire européen de biologie moléculaire. Puis, la Health Security Agency, une agence de santé publique britannique, utilise leurs conclusions pour suivre l’évolution du virus, interpréter l’évolution du nombre de cas et adapter ses projections. Désormais, le gouvernement souhaite tirer parti de l’expertise gagnée lors de la pandémie pour améliorer les diagnostics et le traitement de diverses maladies.

La plus grosse contribution au programme de séquençage du premier génome humain

Si le Royaume-Uni a pris une telle avance dans le séquençage du coronavirus, c’est en grande partie grâce à trois scientifiques, James Watson, Francis Crick et Frederick Sanger, qui ont reçu des prix Nobel il y a quelques décennies pour leurs travaux en génétique au sein d’institutions britanniques [en 1962 pour les deux premiers et en 1980 pour Frederick Sanger, qui avait déjà reçu un prix Nobel en 1958 pour ses travaux sur la structure des protéines]. La plupart des procédés sur lesquels repose le séquençage commercial   sont d’ailleurs nés outre-Manche.

Un autre facteur a joué un rôle déterminant : la participation du Royaume-Uni à un programme international de séquençage du génome humain lancé dans les années 1990. Le centre Sanger a effectué près d’un tiers des séquençages de ce projet – la plus grosse contribution du consortium, toutes institutions confondues. C’est au début de ce programme que l’EBI s’est installé au Royaume-Uni.

[Le Projet génome humain] a d’abord été financé par l’organisation caritative britannique Wellcome Trust, l’un des principaux mécènes de la recherche médicale. Ce programme international a déclenché un cercle vertueux. Petit à petit, le centre Sanger et l’EBI ont multiplié les séquençages et partagé de plus en plus de résultats, approfondissant ainsi la compréhension du code génétique tout en perfectionnant leurs méthodes d’analyse du génome.

Leurs travaux ont inspiré d’autres départements de génomique ailleurs dans le pays. Dans la Silicon Valley, des entrepreneurs se sont lancés dans la production de machines pour répondre aux besoins des chercheurs. Le coût du séquençage a chuté de manière significative. Alors qu’il avait fallu treize ans pour déchiffrer le premier génome humain [en 2001], il suffit aujourd’hui de quelques heures pour réaliser un tel séquençage.

Le génome de 100 000 patients décrypté

Il y a dix ans, le gouvernement accordait encore peu de subventions au séquençage, mais la situation a évolué sous l’impulsion d’éminents médecins au sens politique affûté, notamment sir John Bell et dame Sally Davies . C’est ainsi que Genomics England a vu le jour, en 2013. Grâce à une dotation initiale de 100 millions de livres [environ 119 millions d’euros], cette entreprise publique avait pour mission de révolutionner les infrastructures d’étude du génome en vue d’améliorer le système de santé.

L’État a investi 250 millions de livres [près de 300 millions d’euros] supplémentaires en 2015, et en 2019, Genomics England avait décrypté le génome de 100 000 patients issus du système de santé publique, en privilégiant ceux atteints de maladies rares et des cancers les plus courants. À la fin de l’année 2021, UK Biobank, un organisme caritatif créé en 2006 pour répertorier les données physiologiques de 500 000 volontaires, avait quant à lui séquencé 200 000 génomes grâce au soutien du centre Sanger.

Depuis 2019, le NHS [National Health Service, le système de santé publique britannique] propose une analyse génomique à chaque enfant gravement malade lorsque les médecins suspectent la présence d’une affection génétique. En 2021, l’offre a été étendue aux patients de moins de 30 ans. Parallèlement, le NHS a commencé à effectuer des tests sur des portions d’ADN pour détecter d’éventuelles mutations entraînant de graves effets secondaires lors des traitements de chimiothérapie classiques.

Dernièrement, le gouvernement a financé un programme consacré à l’ADN des nouveau-nés prévoyant de décrypter jusqu’à 200 000 génomes afin d’améliorer le diagnostic précoce et le traitement des maladies rares. Le projet Our Future Health prévoit quant à lui le séquençage du génome de cinq millions d’adultes sélectionnés pour constituer un échantillon représentatif de la population, en vue de développer la personnalisation des soins.

Le génome, mode d’emploi de la biologie

L’objectif est de faire des économies tout en améliorant les traitements. Les scientifiques peuvent analyser les génomes pour y chercher des clusters de gènes entraînant une hausse, ou au contraire une diminution, du risque de développer certaines maladies. Ces clusters ont été identifiés en comparant les dossiers médicaux et le génome des volontaires de Biobank. Les tendances observées peuvent permettre d’identifier les individus à risque dans l’ensemble de la population grâce au séquençage de leur génome, et de les inviter à passer des scanners et à réaliser des bilans avant l’âge seuil habituel. Ceux qui présentent moins de risques peuvent au contraire attendre plus longtemps.

Le génome étant le mode d’emploi de la biologie humaine, son séquençage offre un aperçu inédit de l’organisme, de son fonctionnement et des éventuels problèmes qui pourraient survenir. Et puisque le génome ne change pas au cours de la vie [à l’exception des “erreurs de copie”, les mutations, qui peuvent survenir au sein d’une cellule], le séquençage n’a pas besoin d’être effectué plusieurs fois. C’est donc un outil de diagnostic très particulier, explique Matt Hurles, qui dirige un groupe de recherche consacré aux origines génétiques des maladies au centre Sanger. Plus les séquençages seront nombreux et mis en corrélation avec le dossier médical des patients, plus la recherche progressera.

Grâce à un savant mélange de découvertes fortuites, d’inventivité et d’audace, le Royaume-Uni a développé les infrastructures les plus poussées au monde en matière de séquençage génomique. Mais comme bien trop souvent dans le pays, ces prouesses technologiques n’ont pas débouché sur la création d’entreprises capables de dominer le marché. La société de séquençage Solexa, créée en 1998 par des scientifiques de Cambridge, a par exemple été rachetée en 2007 par Illumina, établissement américain spécialisé dans le matériel de lecture de l’ADN. Oxford Nanopore, une entreprise qui fournit des outils de séquençage mobiles, n’a quant à elle dégagé que 114 millions de livres [près de 136 millions d’euros] de recettes en 2020. Heureusement, l’apport du centre Sanger à la santé des Britanniques ne dépend pas de l’endroit où sont fabriqués ses outils.

THE ECONOMIST (LONDRES)


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