Guerre nucléaire : le président russe Vladimir Poutine tirera-t-il le premier ?

Depuis que le président russe Vladimir Poutine a annoncé avoir mis en “état d’alerte spéciale” sa force de dissuasion nucléaire, partout dans le monde règnent l’angoisse et l’incrédulité. Est-il vraiment en train de brandir une menace qu’on croyait jusque-là cantonnée au chapitre guerre froide des livres d’histoire, celle de la guerre nucléaire ? s’interroge The Sunday Times.

En quoi consiste l’arsenal nucléaire de Poutine ?

Avec 4 447 têtes nucléaires, la Russie possède le plus gros stock du monde. Parmi celles-ci, 1 588 sont des ogives stratégiques, réparties comme suit : 812 sont destinées à des missiles tirés depuis le sol, 576 embarquées à bord de sous-marins et 200 se trouvent sur des bases de bombardiers lourds. Poutine peut également faire appel à des armes nucléaires tactiques (non stratégiques), plus petites, qui peuvent être tirées par de l’artillerie ou larguées depuis des avions. Elles peuvent détruire un stade de football, sans compter le souffle de l’explosion et les retombées radioactives. Les missiles stratégiques, eux, qu’ils proviennent d’un sous-marin, d’un silo ou d’un lance-missiles, sont capables de ravager une ville.

Comment cet arsenal est-il déployé ?

L’armée russe possède toute une gamme d’avions, de sous-marins et de lance-missiles capables d’envoyer des armes nucléaires. Côté bombardiers lourds, il s’agit du Tu-160 Blackjack et du Tu-95MS Bear-H. La marine, elle possède, 10 sous-marins à propulsion nucléaire équipés de missiles stratégiques à tête nucléaire, plus précisément cinq Borei et cinq Delta IV, avec chacun 16 missiles embarqués. Ces sous-marins sont répartis en deux flottes, l’une basée dans le Pacifique, dans la péninsule du Kamtchatka, l’autre en mer de Barents, non loin de la Norvège.

Pendant la guerre froide, la Russie comme les États-Unis ont cherché à mettre au point des systèmes d’artillerie capables d’envoyer des armes nucléaires tactiques. En 2017, bien après la fin du conflit, la Russie a effectué depuis un silo un essai de lancement de missile balistique intercontinental (ICBM), le Topol-M, désigné par l’Otan sous le nom de SS-27, et qui peut être armé de têtes nucléaires. Capable d’emporter une charge unitaire de 800 kilotonnes, le Topol-M aurait une portée maximale de près de 11 000 kilomètres. En juillet 2019, Moscou a testé un autre ICBM, le SS-25 Sickle, depuis un système de tir mobile sur le cosmodrome de Kapoustine Yar, situé dans l’Astrakhan, dans le sud-ouest de la Russe, non loin de la mer Caspienne.

En quoi consiste l’“état d’alerte spéciale” ?

Là où les États-Unis ont défini cinq niveaux de Defcon - contraction de  DEFense readiness CONdition, littéralement “état de préparation de la défense”-, la Russie n’en possède que quatre. Selon des experts, Poutine aurait signifié par son annonce le passage du premier niveau (“constant”) au deuxième (“élevé”), qui n’est donc pas le niveau maximal. Une certaine perplexité règne du côté des autorités britanniques et américaines. “La direction prise n’est pas encore totalement claire pour nous”, reconnaissait un responsable de la défense états-unienne jeudi 3 mars. Le niveau “élevé” est un moyen de faire savoir au commandement militaire que Poutine souhaite avoir l’option nucléaire et que l’armée doit être opérationnelle. Le niveau suivant, dit de “danger militaire”, est déclenché si la Russie se pense menacée d’une attaque nucléaire et enclenche les autorisations de répondre par des tirs. Le quatrième et dernier niveau, dit “total”, serait celui d’une guerre nucléaire en cours.

Existe-t-il un bouton rouge sur lequel Poutine pourrait appuyer ?

Dans la plupart des pays dotés de l’arme nucléaire, deux personnes sont nécessaires dans la procédure d’engagement des forces nucléaires. Il n’y a vraisemblablement pas de “gros bouton rouge” en Russie non plus : Poutine devrait plus certainement donner des ordres à son commandement militaire, qui relaiera le message aux personnes directement responsables des armes.

En Grande-Bretagne, si le Premier ministre décidait d’un tir de missiles, un message crypté serait envoyé à l’un des sous-marins de classe Vanguard de la Royal Navy. Ces SNLE “sous-marins nucléaires lanceurs d’engins”, rendus presque indétectables par leur extrême discrétion acoustique, emportent des missiles à têtes nucléaires Trident II D5. Une fois le message officiel envoyé, le commandant doit alors le décrypter pour connaître le type d’action militaire demandée.

Alors s’enclenche la chaîne de commandement : une série de tâches et de missions individuelles s’effectue, puis l’officier responsable déclare :  Aux postes de combat, missiles prêts au lancement stratégique.” L’ingénieur aux armes et son adjoint sont les deux seules personnes habilitées à bord du sous-marin à accéder à un coffre-fort renfermant un bouton rouge.

À part la Russie, qui possède des armes nucléaires ?

Sur les 195 pays du monde, neuf seulement possèdent des stocks nucléaires : la Chine, la France, la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord. Depuis la chute de l’URSS en 1991, le nombre d’ogives détenues par les États-Unis, la Russie et le Royaume-Uni est en diminution. L’Ukraine elle-même fut très brièvement une puissance nucléaire, et la troisième au monde, avant de se défaire de son stock en 1994 en échange de la promesse, faite par les Occidentaux et par la Russie, que sa souveraineté serait respectée.

À quoi ressemblerait une guerre nucléaire ?

“La Russie est le seul pays au monde à avoir la capacité nucléaire de détruire les États-Unis”,  a reconnu en 2015 le général Mark Rilley, qui préside le comité des chefs d’état-major interarmes des États-Unis. Selon Philip Ingram, ancien officier du renseignement, un éventuel conflit nucléaire serait progressif. “Si Poutine voulait faire pression sur l’Otan, il utiliserait une arme tactique sur l’Ukraine, sans doute à proximité de Tchernobyl, et ensuite il rejetterait la faute sur les Ukrainiens, sachant très bien que l’Occident ne serait pas dupe, mais que ce ne serait pas suffisant pour que l’Occident décide de répliquer.” Ensuite il pourrait viser un pays européen qui ne soit pas une puissance nucléaire afin de marquer une nouvelle escalade dans le conflit. “Le rythme de l’escalade pourrait alors s’accélérer très vite”, signale Ingram.

Dans ce scénario du pire, une guerre nucléaire entraînerait la destruction totale de villes entières et ferait des millions de morts, que ce soit au moment de l’impact ou des suites de l’explosion, avec notamment les retombées radioactives et autres répercussions environnementales.”

Un missile balistique à longue portée – qui partirait de Russie pour atteindre l’Europe et l’Amérique – a une tête nucléaire dotée d’une charge explosive de 300 à 800 kilotonnes. Selon les spécialistes, il suffit de 300 kilotonnes pour détruire Londres, Washington ou Paris.

Les armes de moindre ampleur, par exemple un 2S7 Pion, un canon autopropulsé, peut transporter jusqu’à 4 bombes nucléaires de 203 mm capables d’éliminer des cibles à une distance de 35 kilomètres. Le 2S7 Pion peut tirer un obus d’une puissance d’environ une kilotonne, soit l’équivalent de milliers de tonnes de TNT. Un missile Iskander, qui a une portée de 500 kilomètres, pourrait être utilisé pour tirer une bombe nucléaire d’une puissance de 5 à 50 kilotonnes. Les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki avaient, selon les critères actuels, une “charge faible”, l’équivalent de 15 et 20 kilotonnes de TNT.

Est-il possible d’arrêter un missile ?

L’Occident saurait presque instantanément si Poutine avait décidé de lancer un missile nucléaire, sa signature infrarouge serait en effet immédiatement repérée par les satellites. D’autres systèmes de renseignement calculeraient rapidement la trajectoire du missile, grâce à la télémétrie ou les signaux électroniques qu’il envoie. Ce qui permettrait à l’état-major britannique ou américain de savoir où se dirige le missile et quelle est sa cible exacte.

Dans le cadre de Formidable Shield, l’exercice annuel de l’Otan au large des côtes de l’Écosse, l’alliance occidentale s’entraîne à la défense contre différents types de missiles. Certains spécialistes se demandent cependant si les systèmes de défense antimissiles balistiques américains seraient capables d’intercepter plusieurs missiles à la fois, alors que des leurres seraient lancés en même temps pour semer la confusion.

Quelle est la probabilité d’une guerre nucléaire ?

Selon la plupart des spécialistes, cette probabilité est nulle, parce que l’impact serait catastrophique. Le général sir Richard Shirreff, auteur du [roman d’anticipation] War with Russia  -“Guerre avec la Russie”, non traduit- et cofondateur de Strategia Worldwide, déclare : “Il faut faire attention à ne pas être alarmiste, mais il faut aussi être réaliste. Poutine a déclaré :  ‘Tous ceux qui se mettront en travers de notre chemin’  subiront  ‘des conséquences historiques inédites’ . Ce qui, dans les faits, revient à brandir la menace nucléaire. Il a également ordonné la mise en alerte des forces de dissuasion russes.”

Pour éviter une guerre nucléaire, selon Shirreff, il faut déployer des forces conventionnelles en Europe de l’Est. Et ainsi avoir “des forces militaires qui peuvent se battre et retenir les Russes en cas d’attaque, mais surtout persuader Poutine de ne pas attaquer en premier”, dit-il. La dissuasion nucléaire reste fondamentale. “Poutine a montré qu’il irait toujours plus loin. Le seul moyen de le dissuader, c’est la force”, ajoute Shirreff.

THE SUNDAY TIMES (LONDRES)


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